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Bure _ (sud Meuse, à la frontière avec la Haute Marne)

Août 2022 - Festival Les Bure’lesques

 

Récits croisés d’une virée en stop, d’un festival écologiste et de la lutte anti-nucléaire à Bure

 

Au cours de l’été 2021, on entend parler de la lutte contre l’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, et de la ZAD qui s’y est créée. Depuis qu’on s’est rencontrées avec ECS, on voulait se rendre sur la ZAD de Notre-Dame des Landes, sans trouver le moment. Mais Bure est dans le Grand-Est (plus précisément, dans le département de la Meuse, à la frontière avec la Haute-Marne) et il nous reste un peu de temps avant la reprise des cours en septembre. On se dit que c’est l’occasion d’aller voir comment la lutte prend place sur un territoire, comment celleux qui résistent s’organisent, et de venir soutenir ça.

 

Ça tombe bien, parce qu’en août, les activistes et occupant.e.s du lieu organisent le festival Les Bure’lesques pour visibiliser la lutte et ses enjeux. Il est organisé tous les ans depuis 2017 pour protester contre le projet CIGEO, qui prévoit donc d’installer un site d’enfouissement des déchets nucléaires sur la commune de Bure. 

 

On décide de s’y rendre et d’y passer deux jours, pour voir en vrai, s’informer sur la lutte antinucléaire, et soutenir les luttes locales.

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Le projet CIGEO à Bure

 

Depuis 2006, le projet CIGEO, porté par l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs) projette de créer un site d’enfouissement sur la commune de Bure.

Ce site serait destiné à accueillir près de 83 000 m3 de déchets radioactifs, parmi les plus dangereux produits par les centrales françaises, et ce dès 2030.

Cela représenterait 270 ha d’installations nucléaires en surface et 300 km de galeries souterraines, à 500 m de profondeur, le tout pour un coût de quelques dizaines de milliards d’euros.

 

De multiples problèmes techniques liés à la sécurité se posent encore aujourd’hui, alors que les travaux sont en voie d’être démarrés. Notamment, la question de la pollution de l’eau, du volume des déchets qui sera finalement stocké, ou encore la gestion du site à long terme.

 

Contestation

 

Ce projet fait l’objet, depuis sa création et au fur et à mesure des différentes décisions politiques qui l’ont jalonné, de vives contestations scientifiques et citoyennes. Cette contestation vient d’abord de militants écologistes à l’échelle nationale. En effet, le projet concentre les problèmes contre lesquels les militants antinucléaires protestent depuis des années et s’inscrit dans l'histoire nationale et européenne de ces luttes antinucléaires.

 

Une des particularités de la lutte à Bure est donc qu’elle n’a pas été tout de suite portée par des habitants du territoire. Les militants antinucléaires ont dû s’intégrer aux habitants locaux, et par l’intermédiaire de lieux clés, d’occupation, d’information, s’est organisée petit à petit une résistance locale.

 

Notamment, en 2005, l’association Bure Zone Libre, juste après avoir été créée, achète un vieux corps de ferme meusien dans le village de Bure qui deviendra la Maison de la Résistance à la poubelle nucléaire. Point d’information, d’organisation et d’accueil, ce lieu devient une base logistique pour les actions des militant.e.s, avec une grande salle de réunion/spectacle, un dortoir isolé, une cuisine, des outils informatiques, un atelier, un jardin…

 

Une autre composante de cette lutte est le festival Les Bure’lesques auquel nous avions décidé de nous rendre cet été. 

 

Aller sur place - voir en vrai ?

 

Y aller donc, oui, mais en stop, parce que nous nous sommes décidées à la dernière minute, et surtout parce que le site est très rural et difficile d’accès en train.

 

Ce week-end est donc l’occasion de nous informer sur la lutte contre CIGEO mais également de partir explorer les paysages du Grand Est, et d’organiser une traversée Strasbourg-Bure à la fin de l’été.

 

Nous nous postons à la sortie de Strasbourg et après 15 minutes d’attente seulement, une famille propose de nous emmener jusqu’à Toul, une petite ville après Nancy qui est sur notre route. 

 

Dans ce covoit, on parle du nucléaire, du stockage de l’énergie via les voitures électriques et les mètres carrés de bureaux vacants à Paris avec le père, ingénieur dans le bâtiment… On n'ose pas trop parler du festival, de la crise de l’eau et des territoires qui nous amènent là-bas, mais on est bien contentes qu’ils nous emmènent. Ils nous lâchent finalement à Toul en fin d’après-midi.

 

On erre un peu dans la ville, fières d’avoir déjà fait 180 km, et on cherche un moyen de faire la dernière partie du trajet. Dans la ville, il y a plein de musique et un festival genre Jazz à Toul. (J’y repasserai des mois plus tard, en voiture toujours, lors d’un autre convoit). Toul est traversée par le canal de la marne orin (au rhin), la Moselle canalisée et accessoirement la Moselle passe juste à côté. 

 

Alors qu’on déambule entre eau et jazz, une grosse voiture de type familiale, conduite par un mec seul, ralenti à notre niveau. Le mec nous propose de monter, normalement il faudrait refuser, mais sans vraiment hésiter on y va, il à l’air plutôt sympa. En fait, le mec nous explique qu’il est en vacances et en profite pour visiter la France et ses villages. Il roule plus au moins au hasard et s’arrête chaque jour dans un nouveau lieu, puis dort dans sa voiture. Il nous montre même un petit montage photo qui répertorie les villes qu’il a déjà vues sur canvas. A un moment il met de la musique turque ultra forte et nous dit qu’il est azeri. Le gars fume des clopes azeri et nous en propose, c’est assez irréel, on dirait un film sundance. A un moment, dans sa playlist, passe Aziz la star bulgare. 

 

On suit le GPS de mon téléphone, direction Hévilliers. Le festival les Bure’lesques prend place dans un champ sur le côté de la D31, entre Hévilliers et Couvertpuis. Ce n’est ni vraiment à l’emplacement de la ZAD de Bure, ni là où l’enfouissement des déchets nucléaires est prévu. Le site de l’ANDRA Bure est à une dizaine de km plus au Sud. Sur le site du festival, il était écrit qu’il pouvait y avoir des barrages de flics/gendarmes. On en croise en effet un qui ne nous arrête pas - sans doute la voiture modèle familial. 

 

 

 

Petite pause dans le récit : on a quand même flippé pendant cette deuxième partie en stop. (toi ou moi, la même , peut être la position à l’arrière était pire car tu ne voyais pas son visage), le genre de flippe où tu te dis, ça y’est, c’est la fin, le mec s’arrête sur un parking, il va nous butter avec son flingue, alors qu’en fait il allait juste chercher sa bouteille d’eau. 

 

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L’arrivée sur le lieu est libératrice ! Le gars voyageur vacancier nous dit que cette nuit il dormira là, puis il s’éloigne, et il partage le paysage en appel visio avec ce que je ressens être comme un “groupe” de personnes. On ne le recroisera pas ensuite.

 

Les Bure’lesques

 

On part en exploration après avoir pris une bière. Le site grouille d’activité, il y a pleins de gens d’âges différents, des familles, et des livres, des fanzines, des ateliers sérigraphies… 

On se pose sur une colline pour discuter et observer les lieux. Puis la soirée commence par un concert révolté sous le chapiteau. Les chanteur.euse.s hurlent des paroles chocs en français, au bout d’un moment il n’y a plus trop de musique, juste le chanteur crie, et puis c’est l’inverse, on n’entend plus que les basses et tout le monde vibre dans une grande communion révoltée. 

 

Ensuite, après les premiers concerts, à la nuit tombée, un spectacle sonore sur la pollution de l’eau est présenté. C’est le temps calme. 

 

Autour d’une structure éclairée portant des dizaines de gouttes d’eau en carton suspendues qui s’agitent dans le vent, un récit audio sur les risques de pollution de la nappe est diffusé, avec des témoignages de scientifiques, des chants, des bruits de sol et d’eau... C’est beau, mais un peu triste, et il fait aussi de plus en plus froid. Les vieux commencent à aller se coucher, tandis que les jeunes préparent la suite de la soirée. On suit plutôt les ainé.e.s, et on part monter la tente dans le noir sur les hauteurs du site.

 

Finalement la nuit est glaciale, bien qu’on soit seulement fin août. Je ne sais pas si je suis réveillée toutes les heures par le froid ou par la soirée dans le chapiteau du festival. En tout cas, ça ne s’arrêtera que vers 5h, et disons pour le mieux - c’est quand même un festival ! 

 

Le matin on se réveille pas vraiment reposées, mais il y a toujours une ambiance marrante après une nuit en tente, les gens pas réveillés se baladent en pyjama, font la queue devant les toilettes sèches, préparent du café sur l’herbe. Comme on a faim, on achète un pain cuit au four - joie. On se retrouve avec une miche littéralement, qu’on déchire par petits morceaux. 

 

On voulait aller à la balade nature autour du site, mais entre le gros pain et la nuit courte, on change d’avis et on se tourne plutôt vers les conférences, projections et stands organisés dans les différents chapiteaux du festival.

 

Notamment, on assiste à une conférence sur l’histoire des luttes, en particulier celle contre les sites d’enfouissement de déchets nucléaires. Ils posent des questions générales mais pragmatiques : comment défendre un territoire ? A partir de quand on est assez nombreux.ses à se mobiliser pour influencer les décisions de l'État ? Pour avoir de l’espoir ? Comment faire passer les infos à une époque où internet n’existe pas ? Les militant.e.s d’il y a 40 ans racontent l’organisation déployée, les réponses de l’Etat, les stratégies des entreprises pro-nucléaires, les victoires ou pas.

 

En fin d’après-midi, on va voir la projection d’un documentaire sur un lieu d’accueil pour les migrant.e.s qui traversent clandestinement les alpes. Là aussi, question du territoire et de la lutte pour que celui-ci soit le plus cohérent, accueillant, vivable possible. Les personnes présentent l’organisation matérielle, les liens de solidarité, la répression de l’Etat et comment la contourner. 

 

D’une manière générale, pour le nucléaire, l’eau, la crise migratoire, ce qu’on lit, entend, voit met en évidence de la défaillance de l’Etat à protéger les citoyen.ne.s dans le contexte actuel. 

Ces témoignages et ces échanges montrent aussi la répression disproportionnée que l’Etat français exerce face à ces résistances, en oppressant les militant.e.s sur les plans légaux, symboliques, matériels, physiques…


 

Départ

 

Après le film et de derniers échanges avec des collectifs présents, on décide de quitter le festival. Tout est simple en étant sur place : après avoir discuté sur le parking, deux militantes anti-nucléaires nous prennent en stop jusqu’à la gare de Nancy. On discute sur la route, elles nous racontent qu’elles sont des opposantes de la première heure, elles sont à la fois désabusées et engagées.

 

La dernière partie de ce voyage se fait donc dans un train qui nous ramène vers Strasbourg, portées par l’énergie nucléaire…


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Bure aujourd’hui

 

Depuis, la déclaration d’utilité publique et la déclaration d’opération d’intérêt national du projet CIGEO ont été votées en juillet 2022. L’instruction de la demande d’autorisation de création est en cours par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avec l’expertise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et devrait prendre trois ans. Ensuite, une enquête publique aura lieu sur l’avis de l’ASN, et les premiers déchets sont supposés être enfouis après 2030.

 

Face à ces décisions, en plus d’un recours juridique déjà prêt, les militants locaux prévoient de renforcer la lutte dès le lancement de nouveaux chantiers de l’ANDRA.

 

Le site est toujours très actif, et fin septembre 2023, les Luttes Paysannes et Rurales organisées à Cirfontaine juste à côté de Bure ont réuni plus de 1000 personnes autour de 150 ateliers, tables rondes, conférences, des projections, des spectacles, des pièces de théâtre et des concerts…




 

Ressources : 

 

Infos locales, collectifs

https://bureburebure.info/

https://map.bureburebure.info/?fbclid=IwAR3_s-oR3B_NdK-7xpv6ddtPMI1c8hQlctURbMMMjKWkXR3gFeIA8abtHms#14/48.4930/5.3662

https://bombesatomiques.noblogs.org/

 

Articles

https://reporterre.net/Dechets-radioactifs-a-Bure-l-Etat-autorise-les-expropriations

https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-3-page-209.htm

 

Bande dessinée 

Le droit du sol, Etienne Davodeau,2021,  Futuropolis (216p., bande dessinée)

 

Podcast 

https://www.arteradio.com/son/61662635/ecofeminisme_1er_volet_defendre_nos_territoires

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